À Saint-Étienne, les responsables du Parc-musée de la mine Couriot
ne s'imaginent absolument pas sur le Strip de Las Vegas. Ici, malgré les
nouveaux aménagements, pas de toc ripoliné donnant la fausse apparence du vrai.
On réaménage en respectant la mémoire et la poussière des anciens pour
expliquer la fabuleuse histoire industrielle et minière du bassin.
Loin du Strip de Las Vegas… et pourtant c'est chouette une mine la nuit ! [Photo Pierre Grasset] |
Détaillant ce qui a changé à Couriot, Philippe Peyre,
directeur du "Parc-musée de la mine" (nom officiel) explique que son
équipe n'a pas voulu faire ici un parcours de golf tout propret mais sans
âme : "Il fallait des éléments
de compréhension, d'explication et d'émotion". D'où les trois grands nouveaux
espaces d'exposition. L'un consacré à la figure du mineur, le suivant consacré
à l'aventure industrielle de Couriot et un troisième qui fait le lien entre
l'activité minière et le territoire stéphanois. En cette veille de Sainte-Barbe
(fête des mineurs), on inaugurait donc ce "Nouveau Couriot".
Un abandon profitable
Mathilde Lourmet [Photo EMD] |
Mais avant de revenir sur les nouveaux éléments du site… et
aussi sur les anciens, Mathilde Lourmet, chef de projet du Parc-musée donne
quelques clés pour mieux comprendre ce qui fait l'originalité du lieu. En
effet, le site est resté abandonné relativement longtemps. C'est paradoxalement
une chance puisque de nombreux espaces sont ainsi restés "dans leur jus".
Il a dès lors été possible de redécouvrir ces lieux avec plus de recul et une
meilleure approche. De nouvelles études ont ainsi commencé au début du siècle.
En effet, si le musée de la mine proprement dit a été ouvert en 1991, avec
notamment une reconstitution souterraine de l'exploitation du fond, le reste du
site avait été quelque peu laissé à l'abandon par la ville, accueillant même
une décharge sauvage, voire un campement de gens du voyage en bas du "plâtre"
(le carreau en langage stéphanois). "Le
musée se trouvait isolé et on était face à un espace qui n'était pas du tout
approprié" constate M. Lourmet.
Ces études entamées dans les années 2000 avaient donc pour
objectif de rattacher le musée à la ville tout en conservant ce qui fait son
charme et sa force, c'est-à-dire qu'il ne fallait pas non plus que la ville
l'envahisse. Un marché de définition était alors lancé et c'est finalement le
cabinet Gautier+Conquet qui devait être désigné en 2010 avec un projet assez
simple qui visait à associer ce lieu d'équipement culturel avec tout ce qui se
situait alentour. Ainsi, le parc et le musée fonctionnent comme un seul
ensemble, ce qui n'était pas véritablement perçu au départ. Enfin, M. Lourmet
précise que le maître d'ouvrage avait insisté dès le départ sur une
intervention délicate et réversible qui ne modifie pas profondément l'existant.
Il fallait ainsi pouvoir développer des usages contemporains tout en conservant
l'émotion qui se dégage du site.
Une ville marquée
Philippe Peyre [Photo EMD] |
Ph. Peyre fait remarquer de son côté que la ville est très
fortement marquée par cette aventure minière qui a duré un peu plus de six
siècles. Mis en service fin 1919 par la société des Mines de la Loire, le puits
Couriot a longtemps été le puits le plus puissant du bassin. Ces installations
occupaient plusieurs dizaines d’hectares à Couriot et à ses abords. À la fin
des années 1930, le puits remontait 900 000 tonnes de charbon par an, soit
le quart de la production du bassin, et employait plus de 1 000 mineurs.
En sommeil à partir de 1965 avec la concentration de l'extraction sur le puits
Pigeot à La Ricamarie, au sud-ouest, Couriot fermait définitivement en 1973, dix
ans avant la fermeture totale du bassin.
Depuis, le chevalement et ses deux "crassiers" (terrils),
les premiers en France à être classés au titre des Monuments historiques, dominent
la ville, juste au-delà du boulevard urbain et de la ligne de chemin de fer
vers Le Puy, entourés d’un vaste espace dorénavant dégagé où abondent les
traces de la mine où la végétation a, pour partie, repris ses droits.
Le directeur du parc-musée n'hésite pas à affirmer que le
territoire stéphanois a été l'un des bastions du grand développement industriel
français. Tout cela s'est déroulé dans un contexte dominé d'un côté par la
proximité de Lyon, espace marchand européen par excellence et de l'autre par l'affirmation
de l'État-Nation en France aux 18e et 19e siècles, tout
cela dans un pays faiblement doté en charbon et dont les principaux bassins étaient
dangereusement situés près des frontières du Nord et de l'Est. Cette situation
va favoriser le gisement stéphanois en outre situé sur la ligne de partage des
eaux, entre Atlantique et Méditerranée. La région stéphanoise va ainsi devenir
une grande base arrière de développement industriel et militaire quasiment
jusqu'aux années cinquante.
Le site de Couriot présente quant à lui une proximité
remarquable avec la ville, se trouvant à sept minutes à pied de la place de
l'Hôtel de Ville. C'est aussi un jeune musée, né en 1991 autour d'une galerie
minière reconstituée… Jeune comparé au musée d'Art et d'Industrie de St-Etienne
qui remonte au 19e siècle ! Le musée Couriot est né quant à lui
bien sûr de la fermeture de la mine, de son effacement,… mais aussi de l'initiative
du maire communiste de l'époque (1977-1983), Joseph Sanguedolce. Pour la ville,
ce moment était important car le territoire subissait alors d'importants chocs
en raison de la transformation industrielle du pays dans les années
quatre-vingt avec la fermeture de la mine certes mais aussi la fin de
Manufrance, de Creusot-Loire,… "Mais
c'est aussi un territoire qui a su rebondir et qui, au travers du design, est
en train d'affirmer son renouvellement tout en ayant envie aussi d'affirmer sa
singularité comme il l'avait fait au travers de l'aventure industrielle et
minière" insiste Ph. Peyre.
Une équipe en immersion
Le musée de la mine
proprement dit a été ouvert en 1991,
avec notamment une reconstitution de l'exploitation du fond
[Photo Éric Massy-Delhotel]
|
Désignée en 2010 à l’issue d’une procédure de marché de
définition, la maîtrise d’œuvre est composée d’une équipe pluridisciplinaire
dont le mandataire est l’agence d’architecture et d’urbanisme Gautier+Conquet
(Dominique Gautier et Pascal Hendier), associés au paysagiste Michel Corajoud
(Prix André Le Nôtre, grand prix national du paysage et de l’urbanisme), aux
architectes du patrimoine Archipat (Laurent Volay) et aux muséographes de
Scene. Récompensé par le trophée EDF Rhône-Alpes du Patrimoine Rhônalpin cette
année, la mise en lumière du chevalement est l’œuvre de Cobalt. La signalétique
et le graphisme ont été conçus par les designers stéphanois de l’Atelier
Cahen&Gregori (+ P-N Bernard).
Pour Dominique Gautier, architecte, cela constitue une très
belle aventure partagée par toute une équipe : "Nous nous sommes ainsi immergés dans un monde inconnu pour nous".
Pour ce dernier, cette approche des mineurs et du monde souterrain s'est
accompagnée de beaucoup d'émotion et aussi de beaucoup de passion. Il a
commencé en 2009 un véritable travail de coproduction avec les services de la
ville et les équipes du musée. Ils ont visité d'autres sites pour mieux
comprendre ce qu'il convenait (ou pas) de faire. Les architectes du patrimoine
sont en outre intervenus puisque, au même moment, l'ensemble du site était
classé patrimoine historique. Bref, un véritable travail d'équipe au sens noble.
Dominique Gautier [Photo EMD] |
Pour cet architecte, c'est un projet urbain qui a pris corps
et pas seulement un musée. L'existant était déjà important et il a fait en
sorte de recadrer le site, d'en avoir une vision globale à une échelle beaucoup
plus large afin de produire une sorte de plan-guide à l'usage de ceux qui
allaient y travailler : "Nous
sommes sur un site qui couvre pratiquement 50 hectares, qui est relié de
multiples manières aux quartiers et à la ville. Nous nous sommes donc
interrogés sur la place des bâtiments existants dans l'avenir de ce site ainsi
que sur l'interaction avec les infrastructures qui structurent l'environnement".
Chez Gautier+Conquet, on a eu aussi la volonté de voir
émerger, autour des bâtiments existants, un parc urbain contemporain dessiné
par Michel Corajoud. Pour les bâtiments, ces derniers se sont un instant posé
la question de savoir s'il fallait ajouter des bâtiments contemporains.
L'hypothèse n'a pas été retenue et c'est l'utilisation de l'existant qui a été
privilégiée. Ainsi, les modules d'exposition se sont glissés dans les
bâtiments, sortes de boîtes en bois autonomes qui permettent la conservation
optimale des œuvres présentées. De même, la parti a été pris d'héberger
l'ensemble des bureaux du personnel administratif dans ce qui était autrefois
les bureaux des employés et ingénieurs de Couriot. Ont également été ouverts au
public des bâtiments qui ne l'étaient pas mais en les laissant pratiquement
dans leur jus, tels qu'ils ont été abandonnés dans les années soixante-dix.
Laurent Volay, architecte (Archipat), confirme cette
volonté : "Le principe qui a
été retenu est celui de garder l'aspect de témoignage des bâtiments tout en y
incluant la muséographie contemporaine". L'objectif n'était pas de "restaurer"
au sens habituel des monuments historiques mais de s'assurer d'une bonne
restitution de la mémoire de l'activité industrielle que les bâtiments ont en
eux. "Il y a donc une volonté
d'avoir une expression architecturale la plus sobre possible pour laisser toute
la place au patrimoine, qui est l'élément majeur, tout en assurant la sécurité
du public" conclut L. Volay.
Glisser dans l'existant
Les modules d'exposition
se sont glissés dans les bâtiments
existants,sortes de boîtes en bois
autonomes
[Photo Éric Massy-Delhotel]
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Alors, en dehors du parc, en quoi consistent les nouveaux
aménagements ? Toutes les installations nécessaires à l’accueil du public et au
développement des espaces d’exposition ont été glissées discrètement dans les
espaces existants. Les deux nouveaux espaces majeurs d’exposition permanente, La grande aventure de Couriot et Six siècles d’aventure houillère, ont
été aménagés dans l’ancienne grande chaufferie restée depuis longtemps sans
machinerie. Des galeries en bois massif sombre et sobres y ont été simplement posées
au sol, par respect des lieux, et abritent collections et dispositifs
scénographiques dans les conditions climatiques adéquats.
La lumière vient des vitrines et des lutrins. Leurs
dimensions et celle du grand audiovisuel, qui s’étire sur 20 mètres de long, se
veulent le reflet de la puissance de la mine. La construction du parcours a été
en permanence attentive à la qualité des lieux et aux points de vue qu’offre
Couriot sur la ville. L’aménagement de la plate-forme haute qui conduit aux
deux nouvelles salles patrimoniales profite de points de vue sur le chevalement
et les collines environnantes. Le revêtement sombre des sols extérieurs
accompagnent l’architecture des bâtiments mais aussi le vert de la végétation.
Placée dans la première lampisterie, la partie de
l’exposition permanente consacrée à La
figure du Mineur joue pour sa part d’une autre manière avec l’héritage.
Ouverte sur la grande cour, elle donne à voir simultanément le Monument aux
morts et aux victimes du devoir qui en occupe le centre, et l’allégorie du
monde industriel qui se lève que constitue la reproduction du grand tableau de
Jean-Paul Laurens, Les mineurs.
Encore des projets
Et pour demain ? Assurer le dialogue entre la vie contemporaine
et l’emblème que constitue Couriot passe nécessairement par l’amélioration de
son accès depuis la ville. Précédé d’un parvis prolongeant un espace urbain à
requalifier, une passerelle desservant le parc et l’entrée du musée est à
l’étude. Le parc attend également de nouveaux aménagements afin de le rendre
plus accessible à pieds ou à bicyclette.
Demeure enfin la question de l’accès aux deux terrils. Les
deux "mamelles" de Saint-Étienne sont aujourd’hui interdites d’accès
en raison de la combustion spontanée des charbons résiduels qui persiste de nos
jours. Une découverte guidée et sécurisée est cependant envisagée pour compléter
l’ensemble singulier que constitue déjà le Parc-musée de la mine.
Enfin, la nouvelle mise en lumière quotidienne du puits qui a
été récompensée par le trophée EDF Patrimoine Rhônalpin cet automne permettra
dans l’avenir, grâce à un dispositif programmable, de passer des commandes
artistiques.
Pour Couriot, l'aventure continue !
Éric Massy-Delhotel