Le 5 juin dernier, à l'École des Mines de Douai, l'Afoco (Association
française des opérateurs sur co-produits industriels) organisait sa
traditionnelle journée technique annuelle sur le thème des matériaux
alternatifs industriels dans l'économie circulaire. On pourra bientôt retrouver
sur le site de cette association technique (www.afoco.org)
les principaux exposés présentés lors de cette journée mais la table ronde qui
s'est tenue à cette occasion, animée par le journaliste Jérôme Bergerot, a
permis aux différents intervenant de préciser leur pensée au sujet de
l'actuelle et épineuse question de la sortie du statut de déchet. Et tout cela
sans trop de langue de bois (recyclé).
Cette table ronde réunissait donc un "producteur",
Daniel Richard, responsable Business Coproduits chez ArcelorMittal, un "transformateur
et utilisateur", Didier Desmoulin, directeur technique dans le groupe
Colas, un "prescripteur", Hervé Coulon, du Cerema (Centre d’études et
d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement)
Picardie, et enfin Éric Seitz, senior VP pour l'Europe de l'ouest de Phoenix
Services et vice-pdt de l'Afoco.
L'heure du laitier
Daniel Richard: On a l'impression d'entamer
un nouveau chemin de croix [photo EMD (c)]
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Avant d'entrer dans le vif du sujet, Daniel Richard rappelait
que la production d'une tonne d'acier génère 600 kilos de co-produits, donc de
"déchets". Sur ces 600 kilos, 300 sont des déchets des haut-fourneau
et 100 d'aciérie. Ce n'est pas négligeable et on comprend dès lors l'intérêt de
valoriser ces co-produits et ces déchets plutôt que de les enfouir avec les
coûts importants qui en découlent. La valorisation des co-produits et des
déchets sur une usine comme Dunkerque représente une recette de 30 et 35
millions d'euros par an soulignait D. Richard. Ainsi, depuis de nombreuses
années, l'industriel s'est inscrit dans cette valorisation des co-produits pour
proposer des granulats de déchets. Il travaille dans ce domaine en
collaboration avec divers organismes pour améliorer la qualité de ces "laitiers"
de haut-fourneau et d'aciérie. Il a en outre initié une démarche qualité qui a
permis d'aboutir à la publication d'un guide Setra (Service d'études sur les
transports, les routes et leurs aménagements) consacré au sujet.
Autre point important, à partir de 2006, cette industrie est
entrée dans la législation "Reach" européenne relative aux substances
chimiques et ArcelorMittal comme d'autres sidérurgistes européens, a décidé d'y
enregistrer les laitiers de haut-fourneau et les laitiers d'aciérie. Cette
démarche d'enregistrement, D. Richard n'hésite pas à la qualifier de véritable
chemin de croix avec des centaines de milliers d'euros dépensés pour chaque
substance. "Alors, aujourd'hui,
quand on remet sur pied une sortie du statut de déchet pour ces laitiers de
hauts-fourneaux et ces laitiers d'aciérie, on a un peu l'impression d'entamer
un deuxième chemin de croix" soupirait le représentant d'ArcelorMittal
ajoutant qu'il se retrouvait à expliquer et à démontrer de nouveau les mêmes
choses avec les pertes de temps et d'argent que cela implique.
Hervé Coulon: Ce n'est pas une raison pour se mettre
des freins économiques en plus [photo EMD (c)]
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Aux yeux d'Hervé Coulon, l'harmonisation est nécessaire en
matière de sortie du statut de déchet au niveau européen mais, précisait-il, "si l'on est conscient que l'on a intérêt à
bien évidemment adopter et adapter au mieux la législation européenne, ce n'est
pas une raison pour se mettre des freins économiques en plus" (au
niveau franco-français).
Daniel Richard ajoutait un exemple simple et
particulièrement parlant. Un sidérurgiste implanté à Gand exporte exactement
les mêmes laitiers de haut-fourneau que ceux provenant du site de Dunkerque. Il
expédie ainsi des bateaux outre-Atlantique sans aucune formalité à réaliser
alors que le sidérurgiste français, à partir de Dunkerque, est astreint à une
procédure administrative longue et complexe. "Sur certains pays qui sont en dehors de l'Europe, la complexité des
dossiers à réaliser est décourageante et on se trouve donc face à des freins
administratifs dont l'origine est purement franco-française"
regrettait le responsable d'ArcelorMittal.
Y croire ou pas ?
Éric Seitz est quant à lui "transformateur", sa
société Phoenix Services traite aussi bien les laitiers de haut-fourneau que
les laitiers d'aciérie. Il vend ces laitiers depuis de très nombreuses années
et, bien qu'ils soient étiquetés "déchets", cela ne lui posait pas de
problèmes particuliers jusqu'à aujourd'hui. Mais "si l'on va vers un statut de produit, il faut savoir ce que cela va
nous apporter et changer pour nous. Les coûts de mise sur le marché seront-ils
à la baisse grâce à une diminution des exigences de suivi des matériaux ou à la
hausse ?" s'interrogeait É. Seitz avouant que, finalement, à l'heure
actuelle, sa profession serait plutôt sur une position attentiste.
Eric Seitz: Il faut savoir ce que cela va nous apporter [photo EMD (c)] |
Et celui-ci d'ajouter que si généralement les laitiers de
haut-fourneau ne présentent pas aujourd'hui de problèmes particuliers de
commercialisation, il n'en reste pas moins vrai que certains laitiers issus du
convertisseur rencontrent plus de difficultés.
Didier Desmoulin insistait de son côté sur une vision un peu
plus globale vis-à-vis des matériaux dits alternatifs. Dans ce domaine, la
principale ressource est constituée par les déchets du BTP. Le texte sur la
sortie du statut de déchet qui est proposé actuellement et qui n'est pas encore
sorti n'est pas totalement satisfaisant aux yeux du directeur technique de
Colas car il va restreindre l'usage de ces produits : "Cela veut dire que, quelque part, on laisse
une bonne partie du gisement de l'autre côté de la barrière". D.
Desmoulin ajoutait : "Aujourd'hui,
on se débrouille avec les co-produits dans une économie de système qui est ce
qu'elle est. Nous avons fait des efforts très importants en tant que
transformateur et applicateur au niveau des analyses environnementales. Des analyses,
des procédures, des validations que nous supportons dans la majorité des cas".
Alors, effectivement, si la sortie du statut de déchet lui assure que toutes
ces analyses et ces procédures sont réalisées en amont chez le producteur de
déchets qui va lui transférer au même prix le produit pour qu'il puisse
effectivement le commercialiser… 'Pourquoi
pas ? Mais on n'y croit pas".
Daniel Richard évoquait de son côté l'exemple du goudron qu'il
commercialise à partir de trois cokeries en France (Dunkerque, Florange et
Fos-sur-Mer). Ici aussi, suivant le statut de chacune de ces cokeries et alors
qu'il s'agit du même goudron, il faut distinguer d'une part des produits
(Dunkerque, Florange) alors que pour Fos il s'agit d'un déchet ! En Europe, ce
goudron est vendu aux quatre clients présents sur le marché au même prix qu'il
soit déchet ou produit. Ainsi, souvent, dans ce domaine, c'est le marché qui va
autoriser ou piloter l'économie de la filière. "Il faut donc que dans cette filière il y ait un équilibre
gagnant-gagnant entre le producteur, le transformateur et l'utilisateur"
insistait le représentant d'ArcelorMittal. Que va-t-il se passer dans cinq ans
si l'on adopte ce nouveau statut de produit ? Celui-ci ne pense pas que
cela va faire bouger les lignes. La sortie du statut de déchet pour le
producteur est avant tout une simplification au niveau administratif concluait
D. Richard, expliquant que la problématique n'est pas la même sur les laitiers
de haut-fourneau et sur les laitiers d'aciérie puisqu'il est possible d'exporter
à grande distance les premiers alors que pour les seconds il s'agit plutôt
d'une économie locale.
Impôts à la décharge
Didier Desmoulin: Arrêtons de mettre les impôts
à la décharge [photo EMD (c)]
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Didier Desmoulin insistait à nouveau sur le fait que le
gisement principal de matériaux alternatifs dans les entreprises de travaux
public était tout de même celui des déchets du BTP : "Les matériaux alternatifs pour nos besoins
dans le bâtiment, c'est environ 220 Mt par an et c'est à peu près 15 % des
besoins qui sont couverts actuellement par des matériaux alternatifs. Dans ces
15 %, les laitiers doivent représenter de 3 à 4 %. Quelques autres
matériaux viennent s'ajouter mais, globalement, on trouve donc en premier les
déchets de BTP puis les matériaux issus de la sidérurgie". Et voici
que le texte d'arrêté de sortie du statut de déchet, qui a représenté pour
Colas et les autres entreprises du secteur nombre de réunions de travail et des
investissements en temps et en hommes, va laisser les deux tiers du gisement
avec le statut de déchet… Non seulement un certain nombre de matériaux vont
rester avec le statut de déchet avec tout ce que cela implique mais cela va
aussi pousser à faire du tri pour réaliser une sur-qualité d'un côté et du
déchet ultime d'un autre côté. Tout cela alors que, pendant deux ans et demi, les
entreprises ont mis tous leurs efforts pour arriver à sortir un document qui
permette effectivement une juste utilisation du produit dans un contexte de
scénario. "Alors, finalement, je
suis plus un partisan de l'attente pour arriver à quelque chose de plus
pragmatique que ce texte qui risque de nous enfermer dans un carcan dont il
sera difficile de sortir" se résignait D. Desmoulin ajoutant que cela allait
peut-être modifier les équilibres économiques. En effet, dans les matériaux
alternatifs, à qui on reproche souvent d'être au même prix que les matériaux primaires,
on oublie les frais d'enfouissement évités. "Dans ce prix des matériaux alternatifs, il y a également tout ce que la
société s'économise comme frais de mise en décharge: arrêtons de mettre les
impôts à la décharge" lançait le directeur technique de Colas.
Responsables mais…
Enfin, restait à évoquer l'aspect de responsabilité du
producteur dans le cadre de cette sortie du statut de déchet. Pour Éric Seitz,
c'est l'un des sujets d'interrogation de cette transformation du déchet vers le
produit. Aujourd'hui, le producteur du déchet reste in fine responsable en cas d'atteinte à l'environnement. Demain, un
changement vers un statut de produit fera qu'il y aura une coupure mais reste à
savoir à quel niveau celle-ci se fera. Au niveau du transformateur ? Du maître
d'ouvrage ?
Daniel Richard croit de son côté que l'important n'est pas
là. Quand il y a un problème environnemental ou lié à un co-produit, une
substance, c'est souvent le producteur, le plus gros, qui aura la
responsabilité aux yeux de l'opinion publique en général : "Je pense que, quel que soit le statut,
déchet ou produit, si demain il y avait un problème lié à l'environnement,
l'intérêt médiatique se porterait automatiquement sur le principal opérateur".
Didier Desmoulin estimait quant à lui que, dans le
développement durable de l'entreprise, l'utilisateur fait attention à ce qu'il
met en œuvre. Aujourd'hui, les guides tels qu'ils sont rédigés permettent
d'avoir une méthodologie qui rassure et établit les responsabilités. "De fait, il y a un certains nombre de
matériaux alternatifs que je ne prends pas dans mon entreprise mais je peux
faire ce choix car il existe maintenant bien plus de possibilités qu'il y en
avait voici une vingtaine d'années" précisait-il en guise de
conclusion.
On le voit, le débat est loin d'être clos mais ce qui
ressort de ces prises de parole c'est le sentiment pour les industriels
concernés qu'il serait préférable de remettre sur le métier l'ouvrage
"sortie du statut" plutôt que d'aboutir à une réglementation
inadaptée aux réalités du terrain. À suivre…
Éric Massy-Delhotel
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